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Dans quelles mesures les liens hypertexte peuvent-ils porter atteinte au droit d’auteur ?

L’utilisation de liens hypertexte, aussi appelés « hyperliens », est consubstantielle à l'univers numérique. En un seul clic, ces liens permettent à l’utilisateur de consulter un contenu publié sur un autre site internet. La page web qui a exploité le lien renvoie donc à d’autres données, qui sont mises en ligne par un tiers sur une autre page.

L’utilisation des hyperliens est néanmoins susceptible de porter atteintes aux droits de propriété intellectuelle et notamment au droit d’auteur. Les juges français et européens ont été saisis de nombreuses fois sur ces questions, afin d’en dégager les principes généraux.


TECHNIQUE DU LIEN HYPERTEXTE

Les liens hypertextes ont vocation à intégrer un contenu tiers (une page web, un élément référencé, une photographie, une vidéo, un document) sur le site internet visité par l’internaute.

Les juges sont régulièrement saisis par cette problématique du renvoi à un contenu tiers par un lien hypertexte. En effet, de nombreuses atteintes au droit d’auteur ont été constatées sur internet, notamment par le recours à des hyperliens renvoyant à des œuvres protégées. Or, l’auteur d’une œuvre de l’esprit, quelle que soit sa nature, dispose d’un droit exclusif sur la représentation de celle-ci (Article L122-2 du Code de la propriété intellectuelle).

Ainsi, il est question de savoir si la technique du lien hypertexte peut être assimilée à un acte de représentation et de communication au public d’un contenu protégé sur le site internet visité par l’internaute. De même, qu’advient-il si le lien hypertexte renvoie à du contenu contrefaisant ?


REACTIONS JURISPRUDENTIELLES


La notion de représentation

Concernant la notion de "représentation au public" le Tribunal de Paris a considéré que la mise à disposition au public, par une société tierce, de programmes vidéos publiés par les sites M6 Replay et W9 Replay, n’était pas un acte de communication des œuvres. En effet, selon les juges  cette mise à disposition ne fait qu’aider le public « en lui indiquant un lien permettant de les visionner directement sur les sites m6replay.fr et w9replay.fr, lesquels sites effectuant alors l’acte de représentation » (TGI Paris, 18 juin 2010, M6 Web, Metropole Television a. c/SBDS).

Le Tribunal fait ainsi droit l'argumentation de la société défenderesse qui contestait avoir procédé à des actes de représentation, puisqu’elle s'était bornée à référencer les informations sur les contenus vidéo des deux sites de replay. Elle considérait avoir simplement proposé des liens hypertextes permettant au public de visionner ces contenus directement sur ces sites, de sorte que la communication au public était bien effectuée par la société M6 WEB, et non par ses soins.

Cette première décision a été confirmé par la Cour d'Appel de Paris puis un arrêt de la Cour de cassation en 2012, considérant que l’utilisation d’un lien hypertexte renvoyant à du contenu publié et diffusé sur un site (officiel) n'était pas constitutif d’un acte de représentation au sens du Code de la propriété intellectuelle (Cass, Civ. 1ère, 31 octobre 2012, n°11-20.480).

La notion de communication au public

La jurisprudence va s’étendre sur la question de l’hyperlien en tant qu’acte de communication au public. Il a été admis que l’établissement d’un lien hypertexte, par l’exploitant d’un site, en direction d’un autre site où sont accessibles des œuvres illicitement communiquées au public est un acte de contrefaçon lorsque ce renvoi est réalisé sans autorisation (Cass, Civ 1ere, 12 juillet 2012, n°11-13-669).

Deux ans plus tard, c’est l’arrêt Svensson qui va inaugurer la jurisprudence européenne relative aux rapports entre liens hypertextes et droit d’auteur (CJUE, 13 février 2014, aff. C-466/12, Nils Svensson, Sten Sjögren, Madelaine Sahlman, Pia Gadd c/Retriever Sverige AB). En l’espèce, le juge européen se saisit des faits relatant d’articles de presse publiés en libre accès sur le site internet d’un journal.

La Cour a jugé que l’exploitant d’un site internet établissant des hyperliens « vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès » réalise un acte de communication au public, au sens de la directive 2001/29 du 22 mai 2001, qui nécessite l’autorisation de l’auteur des articles. Néanmoins, la Cour pose une limite : l’autorisation des ayants droit ne s’impose que si la communication est adressée à un « public nouveau », c’est-à-dire à « un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public ».

Dans un 21 octobre 2014, la CJUE avait considéré que l’insertion d’une œuvre protégée (une vidéo YouTube) sur un site internet en utilisant la technique de la transclusion ne pouvait pas constituer un acte de communication au public, au sens de la directive 2001/29 du 22 mai 2001. Or, l’apparition de la vidéo sur le site tiers donnait l’impression aux internautes cliquant sur le lien que « l’œuvre protégée […] [était] montrée depuis le site sur lequel se [trouvait] ce lien, alors qu’elle [provenait] en réalité d’un autre site ».

Cependant, la Cour a jugé que « l’œuvre [librement disponible sur Internet] n’était ni transmise à un public nouveau, ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine » (CJUE, 21 octobre 2014, aff. C-348/13, Best Water).

La notion de "communication au public" a été approfondie par la Cour européenne au cours de l’affaire GS Media (CJUE, 8 septembre 2016, aff. C-160/15, GS Media).

Dans cette arrêt, la Cour de justice considère que la publication d’un lien hypertexte vers une œuvre protégée, librement disponible sur un autre site internet sans le consentement de son auteur, ne constitue pas une communication au public si :

  • La personne qui place ce lien agit sans but lucratif ;
  • La personne qui place ce lien agit sans connaître l’illégalité de la publication de ces œuvres. 

Autrement dit, si le lien est fourni dans un but lucratif, la connaissance du caractère illégal de la publication sur l’autre site internet est présumée. Ainsi, le fait de placer le lien hypertexte vers une œuvre illégalement publiée sur internet constitue un acte de communication au public. Dans cette hypothèse le fournisseur du lien hypertexte est présumé responsable. Il peut néanmoins s’exonérer de toute responsabilité s’il démontre qu’il a procédé à toutes les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’était pas illégalement publiée sur le site auquel mènent les liens hypertextes.

Plus récemment, l’arrêt VG Bild Kunst réitère la question de l’insertion, au moyen d'un lien hypertexte dit « de transclusion » au sein d'un site web, d'une œuvre protégée par le droit d'auteur située sur un autre site, qui relève du droit de communication au public et, par la suite, qui est soumise à l'autorisation du titulaire du droit d'auteur, lorsque ce dernier a subordonné la publication initiale de l'œuvre en ligne à la mise en œuvre de mesures de protection contre de tels liens.

La Cour européenne a ainsi jugé que l'incorporation d'une œuvre protégée au sein d'une page web, au moyen d'un lien de transclusion, lorsque le titulaire des droits a subordonné la mise en ligne initiale de l'œuvre à une protection technique contre de tels liens, constituait une communication au public à un public nouveau (CJUE, 9 mars 2021, aff. C-392/19, VG Bild Kunst c/ Stiftung Preussischer Kulturbesitz).


SANCTIONS DES ATTEINTES AU DROIT D’AUTEUR

Le créateur de l’hyperlien peut voir sa responsabilité civile engagée. En effet, la faute qui cause un dommage à autrui est sanctionnée sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du Code Civil. Les juges auront tendance à apprécier la faute, à savoir l’utilisation litigieuse d’un lien hypertexte, au regard de la finalité poursuivie par l’exploitation de ce dernier.

Cependant, les créateurs d’hyperliens sur un site internet peuvent également être assimilés à des hébergeurs, qui bénéficient à ce titre du régime dérogatoire de responsabilité des hébergeurs.

Par ailleurs, un site internet étant assimilable à une base de données, le juge pourra également caractériser le lien hypertexte comme « une extraction frauduleuse », sanctionnée par l’article L342-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Enfin, l’utilisation des liens hypertextes à vocation commerciale peuvent, dans certains cas, être constitutifs d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme défini par la jurisprudence et la doctrine comme  « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ».

La problématique de la contrefaçon est fréquente avec l’utilisation de lien hypertexte. En effet, un site web contenant un hyperlien renvoyant à des œuvres contrefaisantes peut être constitutif d’un acte de contrefaçon, pénalement sanctionnable (articles L335-3 et L335-4 du Code de la propriété intellectuelle).

En jurisprudence, il a été admis que la reproduction, la diffusion et la mise à disposition aux internautes, à titre gratuit, des phonogrammes numérisés sans l’autorisation des cessionnaires des droits de reproduction, étaient des actes de contrefaçon (TGI Saint-Étienne, 6 décembre 1999, Sacem a. c/Roche et Battie).

Plus récemment, l’éditeur d’un site internet qui offrait un service de diffusion, grâce à des liens hypertextes profonds et à la technique de la transclusion, de programmes audiovisuels diffusés par des chaînes de télévision depuis leur propre site, sans autorisation de cette dernière, a été condamné au titre de la contrefaçon de droits d’auteur, de droits voisins des producteurs de vidéogrammes et de droit des marques (TGI Paris, 9 octobre 2014, Playmedia c/France Télévisions). Cette décision a par la suite été confirmée par la Cour d’appel de Paris le 2 février 2016 (CA Paris, 2 février 2016 n°14/20444), puis la Cour de cassation, par arrêt du 4 juillet 2019 (Cass. 1ère Civ. 4 juillet 201 (16-13.092)
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