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Affaire FFF / TICKETBIS : Une frontière tenue entre hébergeur et éditeur de contenus

Dans un arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, considérant que la plateforme espagnole Ticketbis, qui vendait des billets pour assister à des matchs de l’Equipe de France, était éditrice de contenus au sens de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) au regard du rôle actif qu’elle jouait dans le stockage des données et du contenu sur son site internet.

A) Rappel du contexte juridique

La société Ticketbis exploite un site internet de mise en relation entre des revendeurs et des acheteurs potentiels de billets donnant accès à des évènement sportifs ou culturels, notamment des billets pour des matchs de football de l’Equipe de France se déroulant en France.

Or, la revente de titre d’accès sans l’autorisation de l’organisateur d’une manifestation sportive constitue une atteinte à son droit d’exploitation au regard de l’article L. 333-1 du Code du sport.

A ce titre, la Fédération Française de Football (FFF), qui n’avait donné aucune autorisation à la société Ticketbis, et qui de surcroit interdisait ces opérations de revente au sein de ses conditions générales d’acquisition et d’utilisation des billets, a mis en demeure la société Ticketbis de retirer de son site internet l’offre de vente des billets pour les matchs organisés par la FFF.

Cette dernière, nonobstant le retrait des offres litigieuses, a continué de proposer des titres d’accès relatifs à d’autres matchs de l’Equipe de France.

Face à la persévérance de la société Ticketbis, la FFF l'a assigné en responsabilité en sa qualité d’éditrice du site internet, aux fins d’obtenir une indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi.

La Cour d’appel, dans son arrêt du 11 septembre 2020, a rejeté la demande de la FFF considérant qu'elle avait la qualité de simple "hébergeur de contenus" au sens de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN)  considérant que la société avait un rôle « neutre » et « purement technique, automatique et passif impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’elle stocke », ajoutant par ailleurs l'existence d'un faisceau d'indices permettant d’appuyer son statut tel que le fait que « l’utilisateur du site fournit seul les renseignements concernant le billet qu’il désire mettre en vente, en fixe le prix […] », ou que « la société Ticketbis se contente de stocker sur son serveur les offres à la vente ».

Ce n’est pourtant pas la position de la Cour de cassation, qui retient la qualification d’éditrice de contenu pour la société espagnole.

La Cour de Cassation a en effet considéré que la société Ticketbis, qui « offrait sur son site internet un service d’intermédiation pour la transaction de titres, […] offrait aux éventuels acquéreurs de billets la possibilité de faire des choix entre les différentes compétitions sportives […] et sécurisait la transaction », avait bel et bien un rôle actif qui reposait sur « sa connaissance ou son contrôle des données stockées ».

La Cour de cassation confirme ainsi la possibilité pour la FFF d’engager la responsabilité civile de la société Ticketbis sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

B) La responsabilité des plateformes en ligne

La législation applicable aux prestataires intermédiaires en ligne résulte de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, et de la transposition qui en a été faite par la LCEN du 21 juin 2004.

Il a été établi par principe que les prestataires techniques étaient irresponsables du contenu qu’ils hébergeaient. Ils ne peuvent donc pas voir leur responsabilité civile ou pénale engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un internaute sous respect de deux conditions :

  • Ils n’ont pas effectivement avoir connaissance du caractère illicite des données stockées, ou

  • Si, dès le moment où ils ont eu connaissance de leur caractère illicite, ils ont agi promptement pour supprimer ces données ou en rendre l’accès impossible.
Par conséquent, les plateforme en ligne ne sont responsables que lorsqu’ils n’ont pas retiré un contenu dont le retrait avait été demandé par un juge, ou s’ils n’ont pas retiré un contenu manifestement illicite dont ils avaient déjà eu connaissance.

La jurisprudence apporte quelques précisions sur la notion de responsabilité des prestataires, et notamment sur la nature de leur « rôle » dans la mise en ligne du contenu.

L’arrêt de la CJUE du 23 mars 2010 exige d’examiner le rôle joué par le prestataire. Pour bénéficier de l’irresponsabilité pénale, les juges doivent déterminer si le comportement du prestataire est neutre, en ce sens qu’il est purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissances ou de contrôle des données qu’il stocke.

A contrario, s’il est prouvé que le prestataire a joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées, il pourra être tenu comme responsable des données stockées (CJUE, 23 mars 2010, Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA et Google France SARL contre Viaticum SA, Luteciel SAR, affaires jointes C-236/08 à C-238/08).

Dans un autre arrêt de la CJUE du 12 juillet 2011, il a été admis que l’exploitant joue un rôle actif quand « il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci » (CJUE, 12 juillet 2011, L'Oréal e.a./eBay international e.a. C324/09).

La jurisprudence de la Cour de Cassation confirme une évolution jurisprudentielle qui apparait de plus en plus sévère à l'égard des plateformes en ligne, en tendant de plus en plus à retenir leur rôle actif, et par suite, leur qualité d'éditrices responsables du contenu publié sur la plateforme.

C) Le contentieux de la billetterie dans le monde sportif

Le contentieux de la billetterie consiste en l’ensemble des actions judiciaires ayant trait à la revente illicite de billets d’accès à un évènement sportif, culturel ou commercial. Par principe, la revente de billet d’accès à un évènement sportif sans l’autorisation de l’organisateur est un délit civilement et pénalement sanctionné.

En France, l’organisation des manifestations sportives est strictement encadrée par les fédérations délégataires, au regard de l’article L. 331-5 du Code du sport. Les fédérations et, sous réserve de leur autorisation, les organisateurs tiers, disposent d’un droit de propriété sur les exploitations pouvant être tirées de la manifestation sportive.

Ce droit d’exploitation, consacré à l’article L. 333-1 du Code du sport, recouvre plusieurs prérogatives, telles que les droits d’exploitations audiovisuelle, le droit de consentir à l’organisation de paris sur les manifestations sportives, la diffusions de photographies réalisées à l’occasion d’une manifestation, ou encore le droit de vendre des billets pour assister à des compétitions.

La billetterie est donc l’une des prérogatives essentielles de l’organisateur. Sa dimension économique est capitale, car c’est une source de recettes importantes. La billetterie a également un volet social permettant de démocratiser l’accès aux manifestations sportives. Enfin, elle permet d’encadrer et d’assurer la sécurité des participants à l’occasion du déroulement de la manifestation.

Depuis la loi du 12 mars 2012, la revente de billets de manière habituelle et sans l’autorisation de l’organisateur est un délit pénal au regard de l’article 313-6-2 du Code pénal, passible d’une amende de 15000 euros ou de 30000 euros en cas de récidive.

Le contentieux dans le secteur sportif est intégralement initié par les organisateurs des grands évènement sportifs susceptibles de rassembler un public nombreux. Les fédérations françaises les plus touchées sont la Fédération Française de Rugby pour le Tournoi des six nations, la Fédération Française de Football pour les matchs de l’Equipe de France et la Fédération Française de Tennis pour Roland Garros.
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